Il est vrai qu’on ne peut pas se préoccuper de tout, de l’étiquetage de la viande halal et casher, de la chasse aux vrais immigrés et aux faux chômeurs, et de tous les tours de Sarkozy sortant chaque jour des lapins de son chapeau… Mais quand même : les députés viennent de voter, avant de baisser le rideau d’une législature liberticide, une loi qui instaure un fichage généralisé de la population française. Il paraît qu’il y avait urgence : des aigrefins – personne n’a jamais pu donner de chiffres crédibles – “volaient” l’identité” de bons et honnêtes Français ! Les nouvelles cartes d’identité, munies de puces électroniques, seront désormais reliées à un gigantesque fichier recensant les noms, adresses, photos, empreintes digitales, etc. de tous les citoyens français ! J’ai vécu plusieurs années dans un pays, HONG KONG, où existaient ces fameuses cartes d’identité. Seul bénéfice : à l’aéroport, au lieu de faire la queue avec mon passeport, je pouvais passer directement le portique de contrôle; il me suffisait de coller mon pouce sur un appareil où j’avais préalablement introduit mon “ID Card”. C’est bien peu. La carte d’identité était obligatoire pour tous les “résidents”; légalement, elle ne l’est pas encore en France. HONG KONG n’a pas la prétention d’être une démocratie, la France prétend l’être encore. Et ce qui m’inquiète, c’est bien l’usage qui va être fait de ce nouveau fichier central des identités. SARKOZY, quand il n’était encore que ministre de l’Intérieur, était venu à HONG KONG, précisément pour étudier la fabrication de ces cartes “infalsifiables”. Et c’est Claude GUEANT, actuel ministre de la police, qui a bataillé ferme pendant deux ans pour obtenir in extremis ce qu’il souhaitait : un fichier unique qui permette de servir à la fois à l’Etat-Civil et au contrôle policier ! Heureusement, à la suite des protestations de la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés) et de l’opposition de gauche, on a mis quelques garde-fous : « aucune interconnexion (…) ne peut être effectuée » avec « tout autre fichier ou recueil de données nominatives ». Et il ne sera théoriquement possible de remonter des empreintes jusqu’à l’identité que dans trois cas :
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pour la délivrance ou le renouvellement du titre (carte d’identité ou passeport “biométrique”)
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pour des infractions liées à l’usurpation d’identité
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pour l’identification de victimes d’accidents collectifs ou de catastrophes naturelles.
Dans les deux derniers cas, la procédure imposera le contrôle d’un magistrat.
Mais cela suppose que la loi ne soit pas amendée à brève échéance. Si la droite (UMP + centristes) repasse aux prochaines élections, il ne faudra pas longtemps pour que ces restrictions soient annulées. Le candidat Sarkozy vient déjà de laisser entendre qu’il pourrait recourir à la même technique pour les cartes “Vitale”, et encourager le croisement des fichiers. Cette loi sera d’ailleurs sans effet sur les éventuelles escroqueries, tant qu’il sera possible de refaire des “papiers” à partir d’une simple déclaration de perte, aisément falsifiable !
Mais de toute façon, quand on voit avec quelle insouciance, les policiers piochent sans état d’âme dans les innombrables fichiers qui existent déjà, il y a de quoi se faire du souci pour les libertés publiques !
Je ne prendrai que deux exemples récents qui ne sont pas contestables :
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La récente affaire IKEA, dénoncée par le “Canard Enchaîné”. Le Directeur de la Sécurité de l’entreprise suédoise installée en France, faisait surveiller non seulement ses salariés, mais aussi ses clients par une officine de barbouzes qui lui transmettait sans barguigner tous les renseignements réclamés : numéros de téléphone, fadettes (factures détaillées de téléphone des intéressés), casiers judiciaires, inscriptions au fichier STIC (qui regroupe tous les suspects d’infractions, mais aussi les témoins, et est notoirement truffé d’erreurs), etc. Comment est-ce possible ? Tout le monde connaît la musique : un certain nombre de flics, au mépris de la loi, font ce qu’on appelle de la
“tricoche”. Ça permet d’arrondir les fins de mois ! Comme la plupart des sociétés de “sécurité” sont gérées par d’anciens collègues de la maison poulaga, rien de plus simple que de leur demander d’aller regarder dans les fichiers. Chaque renseignement était facturé 80€ à IKEA, autant dire une misère pour la maison-mère !
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CANAL +, second cas d’école; Si la chaîne a été relaxée, les responsables de sa sécurité ont été condamnés
1 récemment pour avoir fait espionner l’auteur des “Guignols”, Bruno GACCIO. Ce ne sont pas les faits qui sont surprenants, mais l’incroyable inconscience avec laquelle flics et anciens flics enfreignent la loi ! Parmi les prévenus au procès, un certain Jean-Yves Desvignes, ancien inspecteur de police à la brigade financière, reconverti chez France Telecom… Parmi ses amis, un dénommé Gilbert Borelli, lui aussi ancien policier, devenu adjoint de Gilles Kaehlin, lui-même ancien flic des Renseignements Généraux et “responsable de la sécurité” à Canal Plus… Que du beau linge! Borelli avait demandé à Desvignes de lui fournir les relevés d’appels d’un téléphone portable. C’était celui de GACCIO. Et le brave homme avait obtempéré sans se poser de questions. Apparemment, c’était une habitude…
“ Je reconnais mon tort, mais je voulais juste rendre service à un collègue et aider une enquête à aller plus vite…” affirme-t-il au procès. Et il ajoute, sur le même ton du type qui ne comprend pas ce qu’on lui veut, cet incroyable aveu : “- C’est assez classique, on donne les fadettes et la réquisition vient après. Si la fadette ne donne rien, ce n’est pas la peine de faire une réquisition. Etant donné que ça coûte cher, les policiers essaient de faire des réquisitions quand elles sont vraiment utiles.”
Les affaires de “tricoche” sont suffisamment nombreuses ces temps derniers pour qu’on puisse avoir toutes les craintes sur l’usage qui sera fait désormais de ce fichier unique où seront couchés 65 millions de Français.
Bon d’accord ! J’exagère un peu… A vrai dire, tant que, comme moi, vous n’aurez ni carte d’identité, ni passeport biométrique, ni téléphone portable, vous pourrez dormir sur vos deux oreilles. Les flics des RG (aujourd’hui DCRI) seront obligés de travailler à l’ancienne : ça leur fera les pieds !
1 Les anciens responsables de la sécurité de la chaîne, Gilles Kaehlin et son adjoint Gilbert Borelli, ont été condamnés à respectivement un an de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende, et 15 mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende. « Il n’est pas démontré, en l’état, que les infractions reprochées à la société Groupe Canal+ ont été commises par leurs organes ou représentants », écrit le tribunal dans son jugement, prononçant la relaxe de la chaîne cryptée.